CJ05 / 1911
Le Figaro - Juillet 1911

VIEILLES ÉPÉES

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Extrait début article

La salle est tout en vitrines où, longues, fines, nettes, se dressent les vieilles, les nobles épées. Au fond, se détachant sur une panoplie, le cardinal de Richelieu, dans son buste de plâtre, le visage émacié, la barbiche sévère, préside à tout ce déploiement d’acier. Et l’homme d’église a l’air très à son aise parmi ces instruments de guerre et ces engins de mort. L’autorité froide de son regard correspond à la froide autorité de ces lames.

C'est une nouvelle salle du musée de l'Armée, aux Invalides, où le général directeur vient de rassembler quelques unes des armes les plus précieuses, par la perfection de leur travail ou par les souvenirs qu'elles évoquent. On l'a nommée salle Richelieu, ce qui est d'une idée tr&eagrave;s heureuse...

En sortant de là, comment ne pas suivre le flot des promeneurs qui sont tous attirés vers le tombeau ? Pénétrons avec eux sous la haute crypte résonnante, emplie d’une étrange lumière bleuâtre, du traînement des pas, du chuchotement confus des voix. Quelques rayons d’or échappés des hauteurs s’accrochent au chapiteau d’une colonne, jettent une barre de feu sur les rosaces et les dalles de marbre. Une foule recueillie et dévote circule à pas mesurés: petites gens, pioupious, mamans tenant par la main leur enfant; accoudés tour à tour à la lourde balustrade, ils se parlent à voix basses, se penchent vers l’énorme sarcophage de granit rouge, solidement assis sur sa base, autour duquel, immobiles et les tresses pendantes, se tiennent douze vierges de marbre. Ils déchiffrent et murmurent ces syllabes flamboyantes: Rivoli, Pyramides, Marengo, Iéna, Wagram, Friedland, Moskowa !

R. R.

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