Raids au Sahara en Octobre, Novembre et Décembre 1924 - Les autos-chenilles Citroën de la Croisière noire - Un peloton de trois 6x6 Renault à roues jumelées avec Gaston Gradis et le maréchal Franchet d’Espèrey
Mis à jour le 26/07/2023

 

Le hasard du rangement d’une bibliothèque m'a fait découvrir le livre DE L’ALGÉRIE AU DAHOMEY écrit par Henri de Kerillis, rendu célèbre en 1914 avec le lieutenant de Gironde par leur attaque à la lance d’une escadrille allemande posée à terre.


Extrait planisphère atlas ESM de St Cyr (1898)

Ce livre raconte le raid transsaharien effectué par la 2e mission Gradis entre Colomb Béchar et Cotonou en Novembre et Décembre 1924.

L’utilisation conjointe de bases de données TEXTES, PHOTOS, CARTES me permet de retrouver
- le petit carnet “O” (9 Novembre 1924 au 23 Janvier 1925) où d’Espèrey a noté chaque journée de ce raid transsaharien avec Gaston Gradis,
- une lettre de Kerillis adressée à d’Espèrey en Juillet 1925 suite à la parution de ce livre,
- une lettre de André Citroën accompagnant une plaquette commerciale sur les autos-chenilles envoyée en Décembre 1930,
- une partie des photos faites par Kerillis,
- les cartes ayant servi à préparer puis à choisir l’itinéraire de cette 2e mission.


Formation défensive en carré du “peloton” - Tente de Franchet d’Espèrey au centre - BD Photos 481605

Ce livre, ces lettres, ces photos et ces cartes éclairent parfaitement les notes du petit carnet qui sont parfois assez hermétiques à cause du style télégraphique utilisé.
Une fois de plus, d’Espèrey veut se rendre compte par lui-même de la véracité de ce qu’on lui raconte: un “peloton” de trois RENAULT à six roues motrices, pouvant être appuyé par demande TSF par trois avions BREGUET 16, peut traverser le Sahara sur plus de 1900 kilomètres en moins de 15 jours.


* *


En s’engageant dans ce raid, d’Espèrey se souvient certainement de la pauvreté du soutien logistique des Armées Alliées en Orient qu’il commandait lors de leur offensive de Septembre 1918 vers Uskub, pauvreté causée par les destructions bulgares d’ouvrages d’art sur l’unique voie ferrée Salonique - Belgrade, le mauvais état des routes et le nombre insuffisant de camionnettes FIAT. Entre les deux solutions automobiles qui sont alors en concurrence pour traverser plus vite qu’en chameau le Sahara entre Colomb Béchar et le Niger - CITROËN avec chenilles Kégresse, RENAULT avec deux ponts arrières à roues jumelées - il espère que l’épreuve du terrain révèlera la meilleure.



Vincennes - Camions RENAULT DB de 3,3 tonnes - BD Photos 534302

Connaissant la marque RENAULT par ses moteurs d’avion et par ses camions déjà utilisés pendant la grande guerre et CITROËN par le grand nombre d’obus fourni en temps utile à l’artillerie, d’Espèrey se joint à l’expédition montée par Gaston Gradis avec les frères Estienne sur RENAULT 6x6. Il laisse CITROËN conseillé par le général Estienne partir devant eux avec ses autos-chenilles, initialement sur le même itinéraire, pour sa Croisière noire traversant toute l’Afrique en direction de Madagascar.


RENAULT 6x6 devant deux squelettes - BD Photos 481627

Inspecteur général des troupes d’Afrique du Nord, d’Espèrey est curieux de voir si de tels véhicules 6x6 sont capables de transporter dans le désert du personnel d’un point à un autre en s’appuyant simplement sur un support logistique préparé à l’avance (bidons d’essence et d’eau, nourriture) et sur un support mis en place à la demande (TSF, avion).


Ouallen - Adjudant en retraite Ouemmi ag el Mnir face au maréchal Franchet d’Espèrey
au bivouac devant sa tente - BD Photos 481625


“De ses vieilles campagnes d’Algérie, de Tunisie, de Chine, du Maroc et de sa grande guerre de Salonique, le maréchal Franchet d’Espèrey n’a pas rapporté que la gloire. il est revenu avec de solides principes. A peine le soleil est-il levé qu’il absorbe discrètement ses vingt centigrammes de quinine. A peine le soleil est-il couché qu’il entreprend de s’enrouler dans sept ou huit mètres de ceinture de flanelle, moyennant quoi ni l’abattement, ni la fatigue, ni les fièvres, ni la mauvaise humeur, ni le mal au ventre n’ont jamais prise sur lui.”


Fantasia à Adrar - BD Photos 481618

Parti de Colomb Béchar le 14 Novembre 1924, le “peloton” des 6x6 RENAULT arrive à Bourem sur le Niger le 24 Novembre après avoir parcouru plus de 1900 kilomètres en 11 jours avec une journée de repos à Adrar où les trois avions BREGUET 16 (moteurs RENAULT de 300 CV) du lieutenant Paolacci se sont posés pour venir saluer le maréchal.


BREGUET 14 - BD Photos 390401

Depuis 1922, ce lieutenant a fait dégager chaque année un nouveau terrain de campagne près d’un poste établi : Béni Abbès (1922), Traourit (1923), Ouallen (1924).
Une fois sorti du Sahara, le périple continue vers Cotonou après avoir traversé le Niger à Gaya, 700 km plus loin.

Dans son carnet, d’Espèrey note que les 6x6 RENAULT sont très fatiguant à conduire car la direction assistée n’existe pas encore. Le problème, pris en compte dès le départ, est en partie résolu par l’emploi de main d’oeuvre supplémentaire; pour aider les “conducteurs-mécaniciens” de RENAULT - Liaume, Liocourt, Bonnaure - quatre légionnaires ont été ajoutés aux différents équipages du “peloton”; ils sont à mi-temps des conducteurs “en second” et, le cas échéant, des anges gardiens sachant manier fusil et mitrailleuse.


Auto-chenille CITROËN en essais avec l’armée belge - BD Photos 489101

Il remarque également la puissance des moyens mis en place par CITROËN
- pour soutenir l’expédition “Croisière Noire” (équipes CITROËN avec pièces de rechange en place dans des postes étapes) partie 15 jours avant eux de Colomb Béchar;
- pour développer la demande en véhicules tout terrain (hôtels en plein désert en construction pour susciter le tourisme automobile).


Bandage métallo-caoutchouc CITROËN - BD Photos 489102

Les deux types de véhicule en concurrence ont un moteur de même puissance soit 10 CV; Louis RENAULT utilise 6 roues doubles jumelées (2x4 roues motrices sur 2 ponts arrières) équipées de pneus basse pression, André CITROËN utilise des chenilles souples Kégresse à bandage métallo-caoutchouc montées sur ses torpédos B2.

Les trois RENAULT de d’Espèrey n’ont pas de problèmes majeurs; par contre la RENAULT du capitaine Delingette accompagnée de sa femme, qui a été rattachée au “peloton” pour lui permettre de traverser en sécurité le Sahara, casse deux fois un de ses deux ponts arrières.

D’Espèrey note avoir croisé, une fois, des chenilles CITROËN abandonnées le long de la piste.

En fin de raid, d’Espèrey se garde bien de faire un bilan comparatif entre RENAULT et CITROËN: s’il est satisfait de ses 6x6, il pense sans doute que la chenille Kégresse de CITROËN peut apporter des solutions dans certains cas qui restent à préciser; la plaquette reçue d’André CITROËN en Décembre 1930 indique une piste intéressante: on y voit des B2 tractant des pièces d’artillerie dans la boue.

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La conclusion des retombées espérées à long terme de ce type de raid est donnée par Gaston Gradis dans la préface du livre de Kerillis:“Une fois les autos et les avions acclimatés dans le Sahara, c’est la pacification complète de la région à bref délai, par une surveillance constante des puits, où les pillards vont se ravitailler.
C’est l’étude poussée activement et économiquement du chemin de fer Transsaharien.
C’est, enfin, la surveillance assurée d’un itinéraire qui soude les diverses parties de notre empire africain...Le Sahara que, dans un partage un peu partial de l’Afrique, on nous a laissé comme un os à roger, prendra dans l’histoire une place aussi grande que celle qu’il occupe en géographie.”

Mais le vent de sable du Sahara n’a rien laissé des espérances de Gradis.

La seule conclusion qui reste valable est celle de Kerillis. Il demande dans sa lettre de Juillet 1925 à d’Espèrey une photo dédicacée qu’il rangera avec d’autres, évoquant le désir de laisser en héritage à son fils de simples photos d’hommes qui ont fait l’Histoire, à charge pour lui d’en tirer la bonne ligne de conduite par la réflexion sur leur souvenir.

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CDG:-)

 

PS: Merci de donner remarques, idées ou le bonjour encliquant ci-dessous:

christian.degastines@orange.fr

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