Italie - GARIGLIANO - Mai 1944: Une offensive montagneuse montée sur le type Macédoine - MOGLENA - Septembre 1918 par le général Juin
Mis à jour le 23/08/2023


Belgrade - 3 Novembre 2008 - Une poignée de petits-enfants, d’arrières-petits-enfants et d’arrières-arrières-petits-enfants de Louis Franchet d'Espèrey, maréchal de France et voïvode de Yougoslavie, ancien commandant en chef des Armées Alliées en Orient

En Septembre et Novembre 2008, une poignée de petits-enfants, d’arrières-petits-enfants et d’arrières-arrières-petits-enfants de jardiniers de Salonique français, anglais, grecs, italiens et serbes, avec quelques représentants des autorités politiques nationales, célèbre à Polykastron en Grèce puis à Belgrade (plaque anniversaire sur le monument Franchet d'Espèrey, exposition et conférence sur les Armées Alliées en Orient au Centre Culturel Français) en Serbie (*) et sur internet (exposition virtuelle "Épopée des AAO", diaporamas), le 90e anniversaire du 1er armistice de la Grande Guerre.
En Juin 2009, la France invite les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, pour commémorer le débarquement des Alliés en Normandie marquant la fin de la 2e guerre mondiale; il fait un temps magnifique et la foule des curieux est au rendez-vous.
La côte normande est facile d’accès.

Il est plus difficile de mobiliser les foules pour commémorer l’action des Alliés sur les autres théâtres d’opérations, hors de France: Algérie, Lybie, Tunisie, Sicile, Italie...
En ce qui concerne la première guerre mondiale, en dehors du 11 Novembre, il n'y a plus de commémorations possibles; les opérations extérieures dans les Dardanelles, en Grèce, en Macédoine, en Serbie, en Thrace, en Roumanie, en Ukraine, en Syrie, au Liban, en Palestine, en Irak, au Hedjaz, sont maintenant inconnues de la jeunesse parce que non traitées par les historiens du XXIe siècle dont le champs d’investigation est réduit au niveau national. Rares sont les personnes qui ont la curiosité de chercher à savoir ce que les poilus ont été faire là-bas et pour quelles raisons ils y ont été envoyés. Heureusement, Internet avec sa “toile” mondiale fournit l’information manquante.

En 1915, sous la bannière de la liberté, des pères de famille anglais et français débarquent sur la presqu’île de Gallipoli pour marcher sur un des alliés de l’Allemagne, la Turquie; devant la forte résistance de cette dernière, ils s’installent finalement en Grèce à Salonique. A partir de 1916, avec leurs amis Grecs, Italiens et Serbes, ils forment les Armées Alliées en Orient soit 645.000 hommes, c’est à dire plus de 7 fois l’effectif de la composante terre de l’armée française en 2009. En 1918, ces AAO prennent à revers l’Allemagne en libérant la Macédoine puis la Serbie jusqu’au Danube de Belgrade, pendant que Foch lance ses grandes offensives, en direction du Rhin, sur le front de France. Mais Clemenceau et Foch, après quatre ans de guerre, stoppent la marche des AAO sur Berlin. Les poilus habitant le quart Nord-Est de la France rentrent chez eux; il n’y a plus rien, leurs villages sont détruits; tout est à reconstruire. Leurs homologues allemands, eux, retrouvent leurs foyers toujours debouts et leur gouvernement se plaint d’avoir à payer les “réparations” des ruines laissées en France.
En 1942, toujours sous la même bannière de la liberté, les fils des poilus français et anglais débarquent en Afrique du Nord. Un an plus tard, ils passent en Sicile puis en Italie; ils entrent à Rome en Juin 1944. La marche pour la libération de l’Europe ira cette fois jusqu’à Berlin.

A une génération d’intervalle, Macédoine - Septembre 1918 et Italie - Mai 1944 constituent deux espaces-temps particuliers car liés au même type d’opérations en montagne où l’issue des combat est décisive pour l’Europe lors des deux guerres mondiales et où la mémoire de l’histoire joue un rôle de guide.

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Les fils des anciens combattants de la Grande Guerre se retrouvent en Afrique du Nord avec leurs alliés d’alors, Américains et Anglais, pour libérer une Europe occupée par l’Allemagne jusqu’à une ligne Leningrad - Stalingrad.
Contourner l’ennemi pour l’attaquer de flanc par une succession de débarquements est la solution choisie par le haut commandement américain.

1942 - TORCH - 8 Novembre: AFRIQUE DU NORD (Safi, Casablanca, Oran, Alger)

1943 - HUSKY - 10 Juin: PANTELLARIA, LAMPEDUSA, LENOSA, SICILE - AVALANCHE - ITALIE - 3 Septembre: Reggio; 5 Septembre: Tarente ; 9 Septembre: Salerne ; 4 Octobre: FRANCE Corse

1944 - ANZIO - 22 Janvier: ITALIE Anzio - OVERLORD - 6 Juin: FRANCE Normandie; 17 Juin: FRANCE Ile d’Elbe - ANVIL - 15 Août 1944: FRANCE Provence (Cavalaire, St Tropez)

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Le débarquement des Alliés en Italie pose trois catégories de problèmes.
- Le TERRAIN est MONTAGNEUX: L’Italie péninsulaire est une longue dorsale montagneuse (Apennin central de plus de 2000 m) coupée de vallées transversales et encadrée par d’étroites plaines côtières. Il y a une seule pénétrante: la vallée du Liri.
C’est un parfait théâtre de guerre en montagne.
Le XVe Groupe d’Armées du général Alexander ne dispose que de forces mécanisées et blindées; l’avantage initial est donc à la défense allemande qui peut se concentrer sur les deux axes menant à Rome, la R6 et la R7.
- Les MOYENS sont uniquement MOTORISÉS et le volume des troupes avec leurs véhicules (mécanisés, blindés) est conditionné par celui des moyens de débarquement, lui-même dépendant de ce qui est prioritaire, à savoir le débarquement OVERLORD prévu en Normandie.
- Les FORCES sont MIXTES: Pour des raisons de propagande nationale, il faut que les alliés soient à égalité de chances devant la réussite et l’échec d’où la constitution de forces mixtes - US (américaines) W (britanniques) - avec tous les problèmes posés par la logistique (matériel et munitions différent).

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La solution adoptée par les Américains, pour remédier aux deux premiers problèmes, est double:
- Après le débarquement initial à Salerne, renforcer la Ve A US (IIe CA US, VIe CA US en attente de débarquement à Anzio) du Gal Clark, avec les divisions françaises (1ère DMI de Brosset, 2e DIM de Dody, 4e DMM de Sevez, 3e DIA de Montsabert) du Corps Expéditionnaire Français (CEF) en cours de constitution en Oranie sous le commandement du Gal Juin; en effet, les exploits des forces françaises en Afrique du Nord ont montré aux Anglais et aux Américains que la France est redevenue une nation militaire sur laquelle ils peuvent compter;
- Débarquer le VIe CA US de Truscott à Anzio pour couper le repli allemand sur Rome.

C’est pourquoi, le général Clark commandant la Ve A US, une fois débarqué, invite le général Juin qui doit le renforcer, à se rendre en Italie pour voir la situation sur place. Arrivé par avion le 29 Septembre 1943 près de Sorrente, Juin arrive par la route à Naples le 1er Octobre et se rend compte de l’inadaptation des moyens au terrain et à l’ennemi.
Il demande donc au Gal Alexander (britannique) qui commande le XVe GA auquel appartient la Ve A US du Gal Clark:
- d’affecter au CEF, la 4e Division de Montagne Marocaine, avec un renfort de mulets pour assurer la logistique dans les montagnes italiennes (Majo, Aurunci) situées au Nord du fleuve Garigliano, région où le CEF pourrait être utilement engagé;
- de placer le CEF, sur la droite du dispositif de la Ve armée, sur l’axe monts Majo - Aurunci - carrefour de Pico, prêt à donner un coup de main sur l’axe du Liri au XIIIe CA W de la VIIIe A W du général Leese.


Schéma offensive vers Rome initialisée par une percée dans les monts Majo et Aurunci vers Pico

Encadré par les forces mécanisées américaines (IIe CA US à sa gauche) et anglaises (XIIIe CA W de la VIIIe A W de Leese, à sa droite) qui doivent progresser sur les deux seules nationales (R6 du Liri pour le XIIIe CA W, R7 de la côte pour le IIe CA US) existant en direction de Rome et contrôlées par les deux lignes d’arrêt allemandes Gustav et Hitler, Juin compte bien percer ces deux lignes d’arrêt dans la montagne, là où il n’est pas attendu.


Dispositif allié à hauteur du GARIGLIANO

Les batailles du Belvédère et de Cassino (XIIIe CA W) le confirment dans la possibilité de jouer la carte montagne avec ses troupes d’Afrique; il suffit d’utiliser le facteur surprise et les troupes “ad-hoc” sur les parties montagneuses des lignes Gustav et Hitler où, comme en Septembre 1918 dans le massif de la Moglena entre Cerna et Vardar, les alliés n’étant pas attendus - les reconnaissances aériennes le montrent - les défenses allemandes sont réduites au minimum.

C’est effectivement ce qui se réalise. En Mai 1944, la Ve A US du Gal Clark passe le fleuve Garigliano, perce dans les monts Majo et Aurunci grâce à l’agilité du CEF qui débloque la progression des blindés et mécanisés alliés sur la R6 et la R7 en contrôlant le carrefour de Pico .
Le Gal Alexander commandant le XVe GA (Ve A US, VIIIe A W) s’empare de Rome en Juin 1944.


Schéma offensive vers Uskub et Belgrade initialisée par une percée dans le massif de la Moglena vers Prilep et Gradsko

Hasard de l’histoire, il est amusant de préciser qu’en 1943, au bureau “Opérations” de l’EM de Juin, se trouve le capitaine André Tranié, un polytechnicien qui se souvient de ce qu’à fait son père le général Tranié, vingt-cinq ans plus tôt, dans les Balkans.
En 1918, ce général commande un groupe de divisions lors de l’offensive du 15 Septembre dans le massif de la Mogléna; fin Septembre, il rejoint à Uskub, par la vallée du Vardar, la cavalerie de Jouinot Gambetta qui, débouchant inpromptu de la montagne, a coupé en deux l’armée bulgaro-allemande sur ce carrefour stratégique de Macédoine, obligeant la Bulgarie à demander le premier armistice de la guerre, le 29 Septembre 1918.

L’état-major du général Juin pense avec le bureau “Opérations” du capitaine Tranié
- que le CEF doit pouvoir percer, grâce à l’entraînement des troupes joint à la robustesse des mulets, les lignes Gustav et Hitler , faiblement défendues dans les monts Majo et Aurunci, puis progresser vers le carrefour de Pico, permettant ainsi de déboucher sur la R6 de la vallée du Liri et sur la R7 de la côte, pour débloquer, soit les Américains de Keyes (IIe CA US) sur la côte, soit les Anglais de Kirkman (XIIIe CA W) sur le Liri;
- que les Allemands des lignes Gustav et Hitler , en arrêtant les blindés et mécanisés alliés sur la R6 et La R7 auront un problème pour décrocher, si le CEF arrive à percer et à s’emparer du carrefour de Pico.


“Royale Brêle Force”

Le CEF, à partir du 4e trimestre 1943, est donc réorganisé en profondeur pour devenir la “Royale Brêle Force” parfaitement adaptée aux contraintes de la guerre en montagne. Ses mulets conduits par les vaillantes troupes d’Afrique du Nord vont pouvoir dépasser, au travers des monts Majo et Aurunci, à compter du 13 Mai 1944, date du lancement de l’offensive du Garigliano, les blindés anglais et américains bloqués sur les deux axes de pénétration vers Rome. Cette percée du CEF dans la montagne oblige le maréchal Kesselring à abandonner les lignes Gustave et Hitler et Rome est libérée le 5 Juin 1944.

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Ainsi, grâce à la “mémoire” de l’Histoire, deux hommes, le général Juin et le capitaine Tranié, peuvent allier “la méthode lourde et rationnelle du mandarin” utilisée par les Américains à “l’art subtil des esprits larges, entreprenants et éclairés” pour trouver une solution possible à proposer au général britannique Alexander, commandant le XVe groupe d’armées en Italie, lui permettant de percer sur Rome.


Trois généraux alliés à Sienne: Clark (Ve Armée US), Juin (CEF) et Alexander (XVe Groupe d'Armées)

Et cette solution de “manoeuvrer” l’ennemi en perçant son dispositif par surprise là où il est le plus faible, se révèle être la bonne pour la quatrième fois:

- Bonaparte, Italie, 1796;
- d’Espèrey, Macédoine, 1918;
- Guderian, Ardennes, 1940;
- Juin, Garigliano-Aurunci, 1944 !

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* avec l'aide efficace
- de S.E. Jean-François Terral, Ambassadeur de France,
- de Miro Tchavaljuga, Ministre adjoint du Travail, de la Politique sociale et des Anciens combattants,
- du colonel Miroslav Knezevitch, directeur du musée de l'Armée,
- du directeur du musée de l'Air,
- de Dragoljub Jurichitch, Président de l'association pour la "Mémoire des Guerres de Libération serbes jusqu'à 1918",
- de Mme Anne-Marie Tranié, Secrétaire générale du comité "Mémorial du Front d'Orient 1915 - 1918",
qu'ils en soient ici remerciés.

CDG:-)

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PS: Merci de donner remarques, idées ou le bonjour encliquant ci-dessous:

christian.degastines@orange.fr

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