Mars 1933 - Transsaharienne Gabès Agadir - Vareuse rouge de Bournazel - Tonneaux de la CITROËN 15 CV de Franchet d’Espèrey
Mis à jour le 27/07/2023

Les croisières Noire (1924 - 1925) et Jaune (1931 - 1932) imaginées par André CITROËN et montées par Audouin-Dubreuil avec Point et Haardt sont des succès au niveau des explorations. Grâce à l’excellente communication de CITROËN, la renommée du constructeur automobile devient mondiale. En Novembre 1932, à la Sorbonne, le maréchal Franchet d’Espèrey remet à Audouin-Dubreuil devant le Président de la République Doumergue, la grande médaille d’or de la Société de Géographie qu’il préside depuis 1931. Les derniers récipiendaires sont Lindberg et Haardt mort à la fin de la croisière Jaune .

Ses fonctions d’inspecteur général des troupes d’Afrique du Nord et d’ambassadeur extraordinaire du Président Doumergue, donnent à d’Espèrey la possibilité de parcourir l’Afrique et le monde, pratiquement sans s’arrêter, grâce à une santé de fer et à une forme physique exceptionnelle.
En 1933, il a 77 ans et cette année là, il est heureux car les grandes croisières CITROËN sont terminées et leur organisateur peut enfin monter la transsaharienne Est - Ouest, de la Tunisie au Maroc. Il en rêve depuis le jour de Janvier 1922 où, après avoir discuté des premiers essais de chenilles souples entre Ouargla - In Salah, il dit à Audouin - Dubreuil (*):
“Ce type de voiture est encore fragile pour affronter le désert, mais avec votre courageuse équipe et vos connaissances du Sahara vous atteindrez le Niger. Après Tombouctou, songez à la liaison directe Gabès - Agadir par le Sahara. Je porte à la réalisation de ce raid, une grande importance. Je voudrais même y participer. Il y a l’inconnu de l’oued Draa... Oui... Mais on verra”.

De Décembre 1922 à Janvier 1923 la première traversée du Sahara en autochenilles CITROËN est effectuée par le Hoggar. Au début de 1924, a lieu la seconde traversée par les mêmes autochenilles et par un nouveau venu, RENAULT. Ses 6 x 6 à roues jumelées sont menées par le lieutenant Georges Estienne, saharien confirmé et “vieux” pilote ayant commencé à voler dès l’âge de 15 ans, en décollant des pentes du jardin familial sur un planeur construit par lui.


Novembre 1924 - Piste La Gardette - Les 6 x 6 RENAULT à roues jumelées entourent la tente de d’Espèrey - BD Photos 481605

En Novembre de cette même année, entre Colomb-Béchar et Gao, la troisième traversée du Sahara est effectuée en parallèle par les deux constructeurs concurrents:
- CITROËN sur autochenilles, c’est le début de la croisière Noire ;
- RENAULT sur 6x6 à roues jumelées, avec d’Espèrey, Gaston Gradis et le lieutenant Georges Estienne.
Douze jours de bivouacs sous la tente, avec des spécialistes du Sahara, au milieu des véhicules rangés en carré et tours de garde contre un djich éventuel donnent le temps au petit groupe de réfléchir ensemble aux itinéraires possibles pour contourner les zones éventuelles de dissidence sur l’itinéraire Nord - Sud emprunté et sur un futur itinéraire Est - Ouest passant par l’oued Draa à la frontière entre le Maroc et l’Algérie. “Pour la première fois, le Sahara venait d’être traversé par un maréchal de France” (*).


Février 1929 - Bidon V - Car RENAULT avec 8 couchettes de la CGT faisant le plein - BD Photos 537405

En Février 1929, nouvelle transsaharienne, celle des Ministres, en cars-couchettes RENAULT de la Compagnie Générale Transsaharienne; d’Espèrey accompagne Maginot et Messimy avec toujours comme guide le lieutenant Georges Estienne. Ils remontent à Colomb-Béchar en 5 jours en partant de Gao sur le Niger qu’ils ont rejoint en avion et en voiture.
Par rapport à 1924, c’est un magnifique progrès. Le matériel, la logistique (dépôt d’essence, d’huile et d’eau), la sécurité (terrains d’aviation, avions Breguet 14, postes militaires) et le niveau de pacification permettent la naissance du tourisme. La compagnie pétrolière SHELL édite à Alger à partir de 1932 le “Guide du tourime automobile et aérien au Sahara” donnant toutes les indications pour trouver ses produits et ses services avec le plan et la localisation des aérodromes existants.


Ouargla - Monument Foureau -Lamy - Bordes Gouverneur général de l’Algérie, d’Espèrey, Fournial Médecin inspecteur général - BD Photos 4041

Le 16 Mars 1930, à Ouargla, lors de l’inauguration du monument portant le noms de tous ceux, civils “de l’Instruction Publique” et militaires “de la Guerre”, qui ont participé à la mission Foureau-Lamy (1898 - 1900), d’Espèrey montrant Audouin-Dubreuil de son bâton de maréchal, dit aux centaines de jeunes méharistes venus assiter à l’inauguration (*):
“Je salue celui qui continue votre oeuvre”.
Et à celui qui va bientôt partir pour la croisière Jaune, il lance:
“N’oubliez pas Gabès - Agadir dans les sables de Gobi, puisque vous avez définitivement arrêté ce grand voyage”.


El-Golea - Aérodrome: escadrille de 4 avions - BD Photos 402912

D’Espèrey profite de ses inspections en Afrique du nord pour préparer l’itinéraire Gabès - Agadir.
Des reconnaissances aériennes sont effectuées par les Breguet 14 du 36e régiment d’aviation d’Oran - La Senia, sur la partie algérienne, au départ de Colomb-Béchar et d’El Golea (série de photos aériennes des archives d’Espèrey, marquées “29/01/1930 pilote Lt Deschamps - observateur Antzenberger”).
De 1930 à 1933, la partie marocaine de l’itinéraire se précise grâce aux pistes, aux liaisons postales et aux petits postes créés pour développer le commerce tout en assurant la sécurité et le soutien sanitaire de toute la région du Draa - Tafilalet. En effet, ce glacis montagneux du Maroc commande les débouchés, à l’Est vers le Sahara de Beni-Abbes et, au Sud vers le Rio de Oro.


“En avion entre El-Golea et Timimoun” - BD Photos 4782

Quand le temps est beau, d’Espèrey, pour qui l’avion est un gain de temps quand il veut contrôler rapidement par lui-même plusieurs points particuliers, accompagne une partie des reconnaissances du lieutenant Deschamps et du lieutenant Paolacci dans un deuxième avion (voir annotations au dos de la photo ci-dessus).

En Octobre 1932, André CITROËN et Audouin-Dubreuil indiquent au cours d’un dîner privé chez le constructeur (*) où sont invités, le Président de la République Doumergue et d’Espèrey, que le véhicule choisi pour le voyage Gabès - Agadir, est la limousine 15 CV CITROËN.

Le 7 Février 1933, d’Espèrey écrit à Audouin-Dubreuil (*):
“Ci-joint deux projets d’itinéraires assez sensationnels. Nous prendrons de Beni-Abbès, l’oued Draa, par des itinéraires nouveaux”.

Le commandant de Perier qui doit accompagner d’Espèrey précise le 1er Mars (*):
“J’apporte avec moi tout ce qu’il faut au point de vue cartes et itinéraires. Je percevrai à Tunis six mousquetons à titre de précaution.”

L’itinéraire doit permettre à l’inspecteur général des troupes d’Afrique du Nord qu’est d’Espèrey, de visiter les postes isolés sur les confins tunisiens, algériens puis marocains pour se rendre compte de la situation, en particulier vers l’oued Draa, l’oued Dadès et le Tafilalet à la frontière Sud Est du Maroc, zone très sensible.

En effet, en 1930, la puissante tribu des Aït Atta du Sahara et celle des Aït Yafelman de la rive droite du Ziz au Tafilalet, se soulèvent contre toute forme d’autorité, aussi bien celle du jeune sultan Si Mohamed qui a succédé à son père Moulay Youssef que celle du colonel - bientôt général - Giraud, commandant la région militaire des Confins algéro-marocains en charge d’y faire régner la sécurité.
En 1933, avec d’autres tribus, ils se retranchent dans le djebel Saghro. Ce choix correspond à la possibilité d’aller se ravitailler facilement dans les nombreuses oasis des environs. Ils refusent toutes les négociations.

La répression va être très dure; la phase finale commence le 28 Février. La veille, le capitaine de Bournazel, annonce à ses hommes:
”C’est mardi gras demain, on se déguise en guerriers !”
Effectivement, le lendemain, l’aide de camp du général Giraud lui apporte une djellaba grise avec l’ordre d’en recouvrir, pour l’assaut, sa vareuse rouge de spahi qui est trop voyante; elle l’a pourtant bien protégé des balles jusqu’à maintenant...! Cependant, un fidèle goumier le suit en portant son fanion de drap rouge orné d’une queue de cheval blanche (**). C’est à usage de l’artillerie: l’observateur peut ainsi suivre la progression de la ligne de contact et l’appuyer au plus près avec ses canons de 155. C’est également et surtout l’indication de la position du chef; il ne reste plus aux hommes qu’à suivre !

Bournazel est tué le 28 Février au combat de Bougafer, en essayant en vain de s’emparer d’un groupe de pitons si escarpés que les légionnaires disent :”il ne reste plus qu’un petit bout à faire ”.
Les Berbères, encerclés tiennent jusqu’au 24 Mars, date à laquelle ils effectuent leur reddition derrière leur valeureux chef Hasso ou Baslam .

Pendant ce temps, à 2.000 km de là, La Dépêche Tunisienne (*) du 15 Mars consacre deux colonnes à LA LIAISON TUNISIE - ALGÉRIE - MAROC et au Voyage du Maréchal Franchet d’Espèrey de Gabès à Agadir en présentant les voitures de la caravane:
Le désir de M. CITROËN, il faut le préciser tout de suite, aura été en effet de réaliser, non seulement une voiture résistante et apte aux randonnées sahariennes, mais encore une limousine agréable à l’oeil et munie de tous les perfectionnements modernes.
Que nous sommes loin de l’auto-chenille rudimentaire, à châssis à peine recouvert de toile et munie de banquette en bois, qui ne payait pas de mine et faisait hésiter les plus courageux à s’aventurer dans le désert.

Mais M. Prud’Homme, un des “mécano” du voyage, vient préciser à l’intention de ceux de nos lecteurs qui ont un goût marqué pour la technique automobile:
Le chassis de ces voitures est du type CITROËN 15 CV léger auquel on a fait quelques modifications pour son adaptation aux régions désertiques: moteur série, boîte à 4 vitesses, pont légèrement démultiplié.
Le refroidissement a été calculé largement en vue des hautes tempértatures qu’on trouve dans le Sud.
Les réservoirs d’essence permettent des étapes de 600 à 700 km en fonction du terrain. Enfin la dernière modification est celle des pneumatiques. En effet, ce qui gêne une voiture dans le désert, c’est l’ensablement en raison de la petite surface de contact offerte avec le sol. Ici cet inconvénient a presque disparu. Les usines Michelin ont fabriqué une nouvelle série de de Superconfort 205 x 40, pression normale 1,5 kg, et dans les dunes 1 kg. Le franchissement de ces dunes est grandement facilité avec l’emploi de ces nouvelles roues.
La carrosserie est de série avec “toit” mobile, très pratique. Dans la malle arrière se trouve la valise pique-nique conçue dans des conditions de fini remarquable. Le matériel de camping est attaché avec des sangles sur le panneau arrière de cette malle.

En arrivant à Tunis, le 16 Mars, sur le “Duc d’Aumale”, d’Espèrey est informé de la situation à Bougafer dans le djebel Sahgro, par le général Duval, général adjoint au Résident général de France, M. Manceron. Il décide alors de prendre l’itinéraire le plus Sud pour ne pas passer au milieu des opérations en cours: la transsaharienne CITROËN annoncée par la presse et suivie à la radio est maintenant un objectif potentiel à prendre en compte au niveau de la sécurité.

Le 17 Mars, il présente au Résident général les trois CITROËN de l’expédition “en donnant lui-même tous les renseignements sur le châssis, la carrosserie et les installations” (*).


18 Mars 1933 - Tunis - Palais de Dar Hussein - En chapeau melon, Manceron Résident général de France, général Raymond Duval adjoint du Résident, lieutenant-colonel Beucler (chef du cabinet militaire), Audouin Dubreuil (tête nue au centre), de Perier (chef d'état-major du maréchal), maréchal Franchet d’Espèrey et Corset (mécano Citroën) ouvrant la porte de la limousines 15 CV CITROËN n°2 qui porte à hauteur du montant droit du para-brise le fanion tricolore avec la cravatte blanche de maréchal de France - BD Photos 389201

L’itinéraire prévu pour les trois premiers jours est (*):
Tunisie:
Samedi 18 Mars: départ 8h30 de Tunis (palais de Dar-Hussein), Sousse, Sfax, arrivée 17h30 à Gabès,
Dimanche 19 Mars: départ 8h de Gabès, Gafsa, arrivée 17h à Tozeur;
Lundi 20 Mars: départ 6h de Tozeur pour l’Algérie et El-Oued;
Algérie
Lundi 20 Mars: El-0ued, arrivée 17h30 à Touggourt.


Schéma cartographique

Les cartes amenées par de Perier n’ayant pas été retrouvées dans les archives de d’Espèrey, un itinéraire vraisemblable (***) est donné ci-dessous:
Ouargla (monument Fourreau-Lamy), Ghardaia, El-Golea, Timimoun (“ermitage” d’Audouin-Dubreuil), Beni-Abbès, Oglet Beraber,

puis à partir de Tinjoub,

- soit itinéraire Nord (si la situation est calme): passage au Maroc par le haut Draa, Ouarzazat (Taourit) au pied du djebel Saghro et arrivée à Agadir par la vallée du Sous;
- soit itinéraire Sud (celui choisi par d’Espèrey): Haut Plateau du Dra jusqu’à Cheguig, djebel Bani, passage au Maroc après Tiznit (poste créé en 1916 par Lyautey pour contrer les allées et venues des partisans d’El Hiba avec les convois d’armes débarquées par les Allemands sur la côte du Rio de Oro et d’Ifni) puis arrivée à Agadir par la région du Sous.

Les trois limousines 15 CV CITROËN - Audouin-Dubreuil (véhicule n° 1), d’Espèrey et de Perier (véhicule n° 2), dépannage - logistique (véhicule n° 3) - avec comme conducteurs les trois chefs mécaniciens “maison” - Chauvet, Prud-Homme, Corset - partent de Tunis le 18 Mars. L’itinéraire Tunis, Sousse, Sfax, Gabès se déroule sans incident, mais il a plu beaucoup dans la région de Gabès, une fois n’est pas coutume.


D’Espèrey étendu sur le sol et veillé par un guide tunisien attend les secours - BD Photos 3872

Le dimanche 19 Mars vers 11 heures, avant Gafsa, sur la piste détrempée, un dérapage du véhicule de d’Espèrey se termine brusquement sur une touffe d’herbe. La CITROËN fait trois tonneaux, le maréchal est éjecté par le toit mobile, le conducteur et de Perier, restés à bord, ne sont que contusionnés. Le véhicule est encore en état de rouler.

Ramené par Audouin-Dubreuil qui est revenu en arrière ne voyant rien venir, le raid se termine pour d’Espèrey à l’hôpital de Tunis avec un bilan très lourd: fractures de la jambe droite et de la hanche.

Après un an de traitement au Val de Grâce, le champ d’action de d’Espèrey se restreint à l’espace que lui permet de parcourir la force de ses bras appuyés sur deux cannes.
Il peut commencer la rédaction de Mémoires qu’il a repoussée jusque là, préférant le grand air de l’Afrique à celui de son bureau, au 4 bis Boulevard des Invalides.

 

* 17 Mars 2009 : Photos documents Ariane Audouin-Dubreuil
** Le Maroc héroïque - Médecin capitaine Jean Vial - Hachette - 1938
Henry de Bournazel - L’Épopée marocaine - Henry Bordeaux - Plon - 1949
*** Carte au 1/2.500.000 “Afrique du Nord - Algérie, Tunisie, Maroc et Territoires du Sud - Routière, Politique et Physique” en 8 couleurs - Girard, Barrère, Thomas - 1956

CDG:-)

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