Wanadoo, le 15 Août 2003

 

Denain, un Saint-Cyrien hors norme
Mis à jour le 22/08/2023

 

Après avoir vu de nombreuses photos du commandant Denain prises dans les coins les plus divers, des Balkans à la Russie, entre 1915 et 1919, avec ou sans ses chefs successifs - Sarrail,Guillaumat et Franchet d'Espèrey - après avoir lu quelques articles sur lui comme ministre de l'Air en 1935, dans de vieilles ILLUSTRATION, j'étais très curieux de savoir qui pouvait bien être ce Saint-Cyrien hors norme, cavalier en 1903, pilote en 1915, général et chef de la Mission Militaire Française en Pologne en 1928, chef d'état-major général de l'armée de l'air en 1933, ministre de l'Air en 1934 et 1935.

Je me suis donc condamné à rechercher le maximun d'éléments sur ce grand ancien et sur les questions aéronautiques des années 1930. Coup de chance, la documentation aéronautique trouvée est conséquente et j'ai eu de plus le bonheur de découvrir dans une bibliothèque une petite plaquette de 90 pages parue en 1969, écrite après la mort de Denain en 1952 par ses amis et collaborateurs (24 articles) - "Le générald'armée aérienne Denain vu par ses amis et collaborateurs" - qui éclaire parfaitement les différents aspects de sa personnalité.

Pour rendre hommage à ce grand ancien, je cite ci-dessous l'article de quatre pages écrit par le colonel Langeron (colonel de l'armée de l'Air puis journaliste aéronautique) en1969.

 

Une armée de l'air rajeunie, une organisation générale plus alerte sortirent des mains habiles et puissantes du général Denain
André Langeron

 

Peu d'officiers aviateurs auront eu une aussi brillante carrière que le général Denain; aucun autre, jusqu'à présent, n'aura influencé de manière aussi heureuse notre armée de l'air.
Capitaine en 1914 et breveté d'état-major, admis en1915 dans l'aviation naissante, le général Denain devint, l'année même, observateur et pilote. Il ne cessa jamais plus de piloter son avion. Peu après, il fut appelé à commander l'aviation de l'armée d'Orient qui se constituait à Salonique.

 

FDE Photos n° 1106 - Salonique - Juillet 1918

Les commandants Denain (képi clair) commandant l'aviation des AAO et Malandain, chef du Service topographique des AAO, devant des Bréguet 16 Bn2 (moteur Renault 300 CV) de bombardement après une remise de croix de la Légiond'Honneur

 

FDE Photos n° 2351 - Andrinople - Décembre1918

Le commandant Denain (bonnet de police) au volant d'une torpédo Hotchkiss Mle. AB 4 cylindre 18 HP avec le lieutenant-colonel Huntziger, chef du 3e bureau des AAO, en chef de bord de véhicule, avec le colonel Allard (Intendant rejoignant l'armée du Danube) en passager (le vrai conducteur est derrière la voiture).

 

Les responsabilités, on s'en doute, étaient nombreuses et lourdes. Il les accepta toutes. Un livre serait à écrire sur la tâche accomplie par cette aviation d'Orient, opérant loin de la métropole, au milieu de l'hostilité générale des choses.

 

FDE Photos n° 1556 - Camp d'aviation russe près d'Odessa - Mars 1919

Inspection de l'escadrille 504 par le commandant Denain(képi clair)

 

Elle eut ses as, ses coups durs, sa part de gloire. C'est à sa tête en tout cas que commença à s'affirmer l'exceptionnelle et forte personnalité du commandant Denain. Pas un des commandants en chef qui se succédèrent en Orient qui n'ait apprécié sa lucide intelligence des situations militaires, sa puissance de travail et son sens de I'organisation. De nombreuses citations sanctionnèrent ses mérites.

 

Vint l'armistice. Une rude tâche se présentait en Syrie, pour pacifier ce pays. Tout naturellement, si l'on peut dire, le général Gouraud, nommé haut commissaire en 1920, confia l'aéronautique de l'armée du Levant au commandant Denain. Sa réussite fut complète. Cent faits d'armes, auxquels il participa plus ou moins, illustrèrent son commandement. Lorsqu'il rentra en France, au printemps de 1923, la Syrie était à coup sûr le territoire d'outre-mer le plus parfaitement organisé au point de vue de l'aviation. Le commandant Denain y avait créé un parc et des bases. Un réseau de terrains auxiliaires et de transmissions jalonnait les principaux itinéraires. Partout régnait des méthodes d'action efficaces et la plus parfaite discipline de l'air.

 

Peu après, le lieutenant-colonel Denain fut appelé à la Maison militaire de M. Alexandre Millerand, Président de la République, puis à celle de M. Gaston Doumergue. Là, dans un poste de choix, il eut toutes les possibilités de s'initier directement aux grandes affaires de l'Etat et de l'armée, et de prendre contact avec le haut personnel dirigeant. Il suivait plus particulièrement les travaux du Conseil Supérieur de la Défense nationale. Or, les années 1924 à 1927 eurent une grande importance aéronautique. En effet pendant que nos escadrilles se couvraient de gloire en luttant contre Abd-el-krim, au Maroc, et contre les Druzes en Syrie, de grandes controverses au sujet de l'état de notre aviation passionnaient le pays et le parlement. Un puissant mouvement d'idées, favorable à la création d'un ministère de l'Air, se développait dans la presse. Le colonel Denain le suivit avec la plus vive attention. Nous pouvons affirmer ici que sa grande expérience de l'air, sa puissance d'information, sa connaissance des hommes de l'avenir, lui permirent de jouer en 1927-1928, un rôle d'orientation peu connu, mais cependant extrêmement efficace. Il rendit ainsi de précieux services.

 

Promu général de brigade en 1928, le gouvernement et le haut commandement lui confièrent le poste délicat entre tous de chef de la mission militaire française en Pologne. Il resta à Varsovie plus de deux ans jusqu'au moment où la suppression de la mission militaire de Pologne le ramena en France. Il prit alors le commandement d'une divison aérienne à Tours.

 

Le général Denain était donc admirablement préparé et armé lorsqu'il fut nommé chef d'état-major général de l'armée de l'air par décret du 7 Février 1933. Son expérience militaire et aérienne avait mûri dans l'exercice des plus hautes responsabilités et dans la pratique continue du vol. Dans toutes les hautes fonctions qu'il avait occupées, il s'était affirmé comme un chef plein d'initiative, animé de l'esprit de décision, tenace, très attaché à ses collaborateurs et toujours de la plus exquise courtoisie vis-à-vis d'eux. Partout, il s'était montré extrêmement soucieux des devoirs de sa charge et n'hésitait jamais à payer de sa personne, à donner l'exemple avec énergie et bravoure. En Orient, en Syrie, il était vraiment le premier pilote de ses escadrilles, et les missions les plus périlleuses devant l'ennemi ne le rebutaient point. Faut-il ajouter, qu'il était, par surcroît, intellectuellement très informé et particulièrement renseigné en toutes choses ? Bref, c'était un aviateur de grande classe qui accédait au poste militaire suprême et qui, par sa brillante personnalité, par sa renommée, faisait lever d'immenses espoirs dans les rangs de l'armée de l'air.

 

Nous ne pouvons ici que retracer à larges traits l'oeuvre du général Denain au cours de cette féconde année 1933. L'année 1933 a été, en effet, avec 1928, année de la création d'un ministère de l'Air par M. Laurent-Eynac, une de ces périodes de redressement et d'action qui, lorsqu'elles se produisent à temps, permettent aux Français de braver l'avenir et de garder confiance en eux-mêmes.

 

Pendant deux ans, M. Laurent-Eynac avait lutté avec une ténacité admirable contre des adversaires intérieurs et extérieurs au ministère de l'Air. Lorsque le ministère tomba, en Novembre 1930, tout était préparé et prévu, mais rien n'était achevé.

 

Or, un ministre, si habile, si averti qu'il fût, n'aurait pu, à lui seul, donner à la France l'armée de l'air capable d'assurer la liberté de son ciel. La condition première était qu'un cerveau militaire et technique de haut rang ait l'autorité requise pour concevoir les plans, ranimer les services et les bureaux de notre appareil aéronautique. Le général Denain fut pleinement, totalement, le chef attendu.

 

Ce serait trop peu dire qu'il donna une vigoureuse impulsion à l'état-major général. En vérité, si en 1928, par sa volonté propre, M.Laurent-Eynac créa le cadre propice au développement futur de l'organisation aérienne, on peut affirmer que c'est le général Denain qui, en 1933, sut concevoir et monter notre armée de l'air. Il n'est pas en effet un point de notre organisation aérienne, depuis les plus délicats rouages du haut commandement en temps de guerre, jusqu'aux plus infimes détails de la vie organique et technique des escadres, qui n'ait été l'objet d'une note, d'un projet signé de sa main ou d'une réalisation ordonnée par lui. Si son oeuvre ne fut point d'un seul coup parfaite - nous connaissons bien ses défauts - elle fut immense.

 

Au sommet de la création de la nouvelle armée de l'air se placent d'énergiques interventions au sein du haut comité militaire. Elles permirent d'arrêter l'hémorragie de puissance par où se perdait depuis deux ans la capacité constructive du ministère de l'Air. Ce redressement liminaire allait permettre à une nouvelle doctrine d'emploi plus dynamique de voir le jour. Les plans, les réorganisations se succédèrent alors à une cadence accélérée: plan d'armement et d'équipement, réorganisation du haut commandement, organisation des régions aériennes, créations des bases aériennes et d'une nouvelle structure des formations, création de l'école de l'Air et d'une nouvelle organisation de l'enseignement supérieur aérien, création des cercles aériens régionaux pour l'entrainement des réserves, remise au point des cinq grandes lois organiques de l'armée de l'air, réorganisation du ravitaillement, création d'un centre d'expériences aérienne militaires, élaboration de nouveaux programmes de matériels aériens, intensification de l'entraînement aérien, réorganisation des transmissions et de la mobilisation industrielle, élaboration d'un plan quinquennal de renouvellement du matériel, etc.

 

Tout fut remis en place, revu et corrigé, animé d'un esprit différent. Une armée de l'air rajeunie, une organisation générale plus alerte sortaient des mains habiles et puissantes du général Denain.

 

Il est certain que, pendant le cours de sa brillante carrière, les circonstances aidèrent souvent le général Denain. Il fut ce qu'on appelle un chef heureux. C'est ainsi qu'en Février 1934, étant chef d'état-major général depuis un an, les évènements amenèrent M. Gaston Doumergue à constituer un ministère dans lequel le général Denain devint ministre de l'Air, haute fonction qu'il allait occuper jusqu'à la fin de 1935.

 

 

Le ministre ne pouvait que continuer l'oeuvre du chef d'état-major général de la veille, et parachever les réformes en cours.

 

Le général Denain entreprit tout d'abord une réorganisation générale des services techniques qui eut pour corollaire la première tentative sérieuse d'organisation industrielle. Il eut ensuite l'honneur de faire voter par le parlement, de Juin 1934 à Juillet 1935, les grandes lois organiques en instance depuis cinq ans. Il continua, cela va de soi, la mise au point du plan d'armement et des programmes de matériels nouveaux. Signalons en passant que si le programme élaboré en 1934 avait été réalisé dans les délais normaux, la victoire des Italiens dans la course vers Damas n'aurait provoqué aucune inquiétude dans le pays.

 

 

FDE Photos n° 2895 - Aérodrome de Clermont-Ferrand - Août 1934

Général Denain ministre de l'Air et M. Sardier président de l´aéroclub d´Auvergne

 

Enfin, dans l'aviation de transport, à propos de la ligne de l'Amérique du Sud, et dans l'aviation privée, de nombreuses et utiles décisions furent prises en 1934 et 1935.

 

On ne peut contester aujourd'hui, à considérer l'oeuvre aéronautique accomplie, et qui a si profondément transformé notre aviation, que le général Denain ait été un grand ministre de l'Air.

 

Et lorsque les vicissitudes de la politique amenèrent, en Décembre 1935, la chute du gouvernement auquel il appartenait, le général Denain sut, avec une modestie peut-être excessive, rentrer dans le rang en regagnant à Alger un poste d'inspecteur général de l'aviation d'outre-mer et de commandant de la 5e région aérienne.

 

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CDG:-)

 

PS: Merci de donner remarques, idées ou le bonjour encliquant ci-dessous:

christian.degastines@orange.fr

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