Wanadoo, le 15 Décembre 2002

 

OBJET: Enquête sur le retour en France par sous-marin de Lyautey au mois de Décembre 1916
Mis à jour le 31/07/2023

 

 

L'utilisation de bases de données TEXTES, PHOTOS, CARTES, LIVRES ou REVUES permet de rassembler des données "archives" à une date déterminée.

Ce regroupement peut révéler alors de vrais "trésors de mémoire" à condition de décrypter les textes puis de les illustrer (cartes, photos, extraits de revue) et enfin de les relier à l'Histoire.

MAROC Novembre 1912 - Capitaine Neigel, Général Franchet d'Espérey - Photo FDE n° 1656

 

Une lettre en date du 27 Décembre 1916 du capitaine Neigel, ancien interprète du général Franchet d'Espèrey au Maroc en 1912, donne à ce dernier des nouvelles du Maroc ainsi que l'information amusante:

 

Extraits de cartes au 1/1.000.000 - Cartes FDE n° 1001 et n° 1002

 

vers le 20 Décembre 1916, Lyautey a quitté le Maroc en sous-marin à partir de Fedhala (petit port à l'Est de Casablanca) à destination d' Algésiras !

 

Extrait de lettre - Texte FDE n° 1166

 

Cette information étant à préciser, je m'adresse à un ami amiral "sous-marinier" qui me met sur la piste des ouvrages de Gérard Garier "Sous-marins en France" (4 tomes) à "Marines éditions".

J'y découvre que la France et l'Angleterre ont mis en place pendant la 1ère guerre mondiale à Gibraltar des escadrilles de sous-marins pour surveiller les côtes occidentales de l'Afrique et le détroit de Gibraltar.

 

Sous-marin français Emeraude - Photo G. Garier

L'escadrille française basée à Gibraltar, dite "escadrille du Maroc", est commandée par le CV de Cacqueray et composée en Décembre 1916 de quatre sous-marins à vapeur (Emeraude, Opale, Rubis, Topaze).

Sa mission est de protéger la navigation, d'interdire la contrebande et de protéger la côte du Maroc en particulier à hauteur de Casablanca.

Désormais tout s'éclaire au niveau des liens ayant pu exister entre le général Lyautey et l'amiral Lacaze.

Au 4e trimestre 1916, Briand président du Conseil remanie son cabinet et remplace son ministre de la Guerre le général Roques par le général Lyautey alors Résident général au Maroc.

Lyautey ne pouvant occuper le poste du jour au lendemain, l'intérim au ministère de la Guerre est assuré par l'amiral Lacaze, ministre de la Marine.

Sous-marin allemand type U 127 (canon de 127 mm) - Photo L'ILLUSTRATION

Ce dernier propose à Lyautey d'éviter le danger d'être torpillé par les Allemands lors de son passage en France (voir extrait de lettre) en embarquant dans un des sous-marins de l'escadrille du Maroc.

Illustration lettre Neigel - Texte FDE n° 1044

Une réclame parue dans la revue "LE MONDE COLONIAL ILLUSTRE" du mois d'Avril 1925 avec carte à l'appui montre que la compagnie du "Chemin de fer PARIS - ORLEANS" avait une agence à Casablanca, boulevard du 4e Zouaves, où un livret contenant les horaires était disponible.

Cette compagnie existait sans doute avant la 1ère guerre mondiale et c'est probablement un train de cette compagnie reliant Algésiras à Paris par Madrid, Biarritz, Bordeaux, Tours, Orléans qui a ramené Lyautey à Paris en 1916, une fois celui-ci débarqué de son sous-marin !

Cette compagnie offrait même en 1925 la possibilité de choisir le mode de transport - train, bateau, avion - fonction des critères temps disponible ou tonnage à transporter.

Ainsi, en Décembre 1916, le nouveau ministre de la Guerre a bien embarqué dans un sous-marin du ministre de la Marine.

 

Le texte de la lettre du capitaine Neigel au général Franchet d'Espèrey (Texte FDE n° 1166), relatant l'histoire du voyage en sous-marin objet de notre petite enquête, est donné ci-dessous:

 

Rabat, le 27 Décembre 1916

 

Enseignement public au Maroc

Collège musulman de Rabat

Le Directeur

 

 

 

Mon Général,

......

Quel coup de foudre pour le Maroc que la désignation de notre Résident général dans la formation du ministère remanié ! L'oeuvre magistrale réalisée par lui, dans ce pays lui a valu l'estime de tous, européens et indigènes dont il emporte les regrets unanimes. Lui-même a quitté son Maroc avec un gros serrement de coeur.

En raison de l'insécurité de l'océan et de l'éventualité d'un bombardement par sous-marins allemands dont nous sommes menacés depuis une quinzaine, notre ministre a quitté obscurément le Maghreb. A l'insu de tous, il s'est embarqué sur un de nos sous-marins qui l'attendait à Fedala et l'a emporté avec le fidèle Bénédic jusqu'à Algésiras. Le reste de la maison militaire s'est embarqué le lendemain sur un croiseur.

Dans son entourage, on s'attendait depuis 1915 à un changement de situation. A chacun des 2 voyages qu'il fit en France, depuis la guerre, on espérait qu'il ne reviendrait plus ici; mais les combinaisons escomptées ne se réalisaient pas. Il a accepté ses nouvelles fonctions en posant, d'une façon ferme, ses conditions. Je suis persuadé qu'il n'est pas étranger aux modifications apportées dans le haut commandement.

Vous ne tarderez pas sans doute à voir notre nouveau ministre. Avec l'activité dévorante qui le caractérise, il ne manquera pas de visiter souvent le front.

La désignation du général Gouraud inspirée par lui est bien accueillie ici; tous y voient la continuité dans l'oeuvre marocaine sans aucun changement.

Madame Lyautey s'est embarquée aujourd'hui, sur un sous-marin à Fedala. Son départ est ignoré; je viens de l'apprendre incidemment par un de ses neveux qui rentrait de cette direction.

Je mentionnais plus haut l'éventualité d'un bombardement par sous-marins boches. Au moment où Madère a subi ce sort, une interception de télégramme par T.S.F. permit de surprendre les ordres donnés à ce sujet par la marine ennemie.

Depuis 20 jours Casa et Rabat sont plongés dans l'obscurité. des moyens de défense ont été immédiatement pris (pièces de 95 amenées de l'intérieur; présence de nos sous-marins) pour parer à toute éventualité.

M. M. les Boches ne désarment pas. Ils ont réussi à faire passer au début du mois, des munitions par sous-marins, entre Agadir et Rio de Oro, à l'adresse d'El Hiba qui recommence à s'agiter; ils parviennent malgré une surveillance active à alimenter Ab El Malek en argent et en munitions grâce à l'appui de nos bons voisins les Espagnols.

.......

Le collège musulman compte 96 élèves dont l'âge varie de 8 à 19 ans. Ils sont répartis en cycle primaire (41 élèves) et le reste en cycle secondaire 1ère et 2e année.

Les fils de famille y viennent volontiers; mais le degré de leurs connaissances est très variable pour les grands jeunes gens de 14 à 19 ans. Les uns ont un certain acquis en français et sont presque nuls en arabe; les autres ont des connaissances assez étendues dans leur langue mais ne connaissent pas la nôtre, aussi les classes manquent d'homogénéité. L'établissement étant créer pour les perfectionner dans leur langue, ils en font 4 heures par jour et 2 heures de français. Leur préférence va à celui-ci qui leur offre moins de difficultés.

Le cycle de leurs études secondaires est de 6 années; à la sortie du collège, les études terminées, un certificat consacrant celles-ci sera délivré à tous ceux qui auront une moyenne générale de 13/20. Ce parchemin leur permettra d'avoir accès dans les carrières du Makhzen.

Les élèves montrent une application moyenne dans leurs études; à part de rare exceptions, ils travaillent juste pour ne pas encourir de punitions. Ce sont des enfants gâtés qui, chez eux, font tous leurs caprices et commandent à leurs parents. Aussi, leur en coûtent-ils de venir en classe à l'heure et d'obéir aux professeurs. Ils sont, en général, très respectueux à leur égard. J'ai actuellement 3 professeurs français et 5 musulmans.

La partie française comporte l'étude de la grammaire, la rédaction et la conversation. Elle est dosée de façon à mettre les élèves sortants au niveau du brevet élémentaire. L'arabe comprend: la grammaire et la syntaxe; la lecture et la récitation; la rédaction; la littérature et l'enseignement religieux (Coran, théologie et jurisprudence). les sciences modernes sont professées en arabe; c'est la partie à laquelle les élèves mordent le moins.

Une remarque faite sur ces jeunes musulmans et qui retient mon attention c'est la désinvolture avec laquelle ils traitent leur religion. Ce sont des indifférents en cette matière. L'après-midi, à l'heure d'une des prières qui les trouve en classe, c'est à peine si un dixième des élèves s'y adonne. Il n'y a pas de fanatisme à craindre avec cette jeune génération.

L'établissement fonctionne, depuis son ouverture, dans une maison arabe peu appropriée au cadre scolaire.

......

Voilà bientôt 6 ans que je n'ai pas revu la France; j'attends avec impatience la fin de cette guerre pour prendre un congé; je n'en ai pas eu depuis 1911. Du train dont vont les évènements, il est impossible de prévoir l'époque où la paix se rétablira. Plaise au Ciel que 1917 marque ce moment si ardemment souhaité.

......

signé: Neigel

 

___________

 

 

CDG:-)

 

PS: Merci de donner remarques, idées ou le bonjour en cliquant ci-dessous:

christian.degastines@orange.fr

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