Extraits archives CDG/FDE - Statue équestre du roi Alexandre donnée à Franchet d'Espèrey le 8 Juin 1922 à Belgrade
Mis à jour le 29/07/2023
30 Mai 1922
Je suis chargé de représenter le Gouvernement au mariage du roi de Serbie que je connais particulièrement (voir annexes AT 060201, 02 & 03).
Je suis accompagné de trois personnes: M. de Fontenay, ministre de France à Belgrade; l'amiral Vindry, représentant personnel du Président de la République, qui a déjà été mon compagnon pour les funérailles du roi Pierre; un de mes officiers d'Etat-Major, le commandant Ihler.
Madame Vindry accompagne son mari; elle est très préoccupée de sa toilette de cour. J'en profite pour emmener ma fille et Ihler emmène sa femme.
Départ à 19h35 par le Simplon Express pour Belgrade avec le personnel habituel à la gare.
Lettre de crédit 15.000 francs, gros portefeuille 3.700 francs, poche intérieure 6.000 francs.
Je pense aux commandants des divisions serbes recrutées dans les différentes régions de la Yougoslavie, qui ont attaqué à 5h1/2 le 15 Septembre 1918 dans la Mogléna.
Arrivée à Venise le 31 Mai à 21h.
31 Mai - Chaud dans le train. Les gares italiennes sont occupées par des carabinieri et des détachements armés de police. Arrivée à Venise à 19h40. Beau temps. Beaucoup d'étrangers. Je descends à l'hôtel Regina dans le plus strict incognito, rapidement percé à jour par les bagages de l'amiral Vindry qui portent l'inscription de la présidence.
Me souvenant de mon voyage d'Octobre 1899, j'emmène tout le monde dîner au restaurant Luna, place Saint Marc. Sérénade sur le grand canal.
6 Juin
Le matin au cimetière avec le voïvode Michitch, dépôt de palmes sur les tombes des soldats français. Déjeuner à l'Hôtel de France. Bénès me parle de la conférence de Genève.
A 17h, à la citadelle où Pachitch vient nous voir avec sa femme. Arrivée, par le fleuve historique, de la flottille avec l'auguste fiancée, la princesse Marie. Elle apparaît sur le pont supérieur du yatch royal, au bruit des salves d'artillerie, des cloches et des acclamations populaires.
Très bien vu le roi Alexandre et le roi Ferdinand de Roumanie. Quand la Princesse débarque, l'enthousiasme est à son comble; l'animation reste grande jusqu'à minuit, maisons pavoisées, rues illuminées, aspect féerique.
Lorsque le regard se détournant de ce spectacle magnifique se déplace vers le Sud-Ouest, au-delâ de la Save, pour s'arrêter sur les hauteurs, il distingue au sommet de la colline deux sortes de bornes blanches qui sont les monuments élevés dans un cimetière allemand, autre manifestation de l'orgueil germanique. En 1915, le 22e corps de réserve allemand a effectué un passage de vive force de la Save en utilisant l'île de Stiganlia; les soldats tombés sont enterrés sous les grands arbres. Une allée centrale partage le terrain entre les deux divisions et les régiments successifs sont reformés, les officiers avec leurs hommes.
Le 208e fait seul exception; comme il formait l'avant-garde, il eut des pertes plus élevées et il a un cimetière à part.
7 Juin
Temps chaud et orageux. La foule est de plus en plus dense, l'allégresse est générale.
Ce matin, j'ai été reçu par le roi qui m'a témoigné sa profonde amitié et sa confiance complète. Je lui présente les voeux du Président de la République, puis je compare la situation actuelle avec celle que j'ai connue il y a moins de deux ans.
Après les missions diplomatiques, le roi reçoit les délégations de toutes les parties de son royaume qui lui offrent des présents. Le plus touchant est une poignée de terre d'Istrie enveloppée dans une broderie portant "l'Istrie captive à son Roi".
Visite à l'exposition de l'art national: travaux de toutes les provinces.
Déjeuner à la droite de Trumbitch, ministre des Affaires étrangères, à sa gauche Bénès; en face Trifkovitch, ministre de la Justice, moustaches grises; à sa droite Bratiano, président du Conseil des ministres roumains; à sa gauche le ministre d'Espagne; à ma droite, le ministre de Belgique puis le général Voszitch, ministre de la Guerre; puis le représentant de l'Autriche qui critique les pangermanistes; Mombelli, mon général italien de Septembre 1918, me charge de dire au général bulgare Todoroff que si les comitadjis bulgares continuent leurs incursions en Albanie, il sera obligé de s'entendre avec les Grecs; Baltozi et Théotokis sont là au 3e plan.
A 16h, visite de la maison historique des Karageorgevitch. A 18h, thé chez le ministre de Roumanie: le roi et la reine; le prince héritier et la princesse Irène sa soeur; le prince Nicolas de Roumanie qui commande une division alpine, usage des skis en masse; le ministre de Pologne et Bratiano très aimable ainsi que son ministre des Affaires étrangères; Todoroff enchanté cause avec le voívode Michitch qui me présente le chargé d'affaires de Grèce et Théotokis l'attaché militaire.
Dîner chez Clément-Simon avec Théotokis et César Coin, président du conseil municipal de Paris arrivé hier soir.
A 22h, concert dans une très belle salle: grande tenue pour les hommes, toilettes de cour pour les femmes avec quelques costumes nationaux; quelques prêtres popes ou imans donnent une note pittoresque.
Le roi Alexandre est radieux. La reine Marie a son succès habituel.
Après le concert, réception au cercle où le roi fait appeler ma fille Jacqueline pour la présenter à la reine qui porte de superbes saphirs dont un qui est énorme avec de très belles émeraudes.
Buffets centraux dans la salle à manger. Je cause longuement avec le délégué albanais puis avec Ribar, président de la Chambre slovène et avec trois élèves de l'école militaire dont un est de Trieste.
8 Juin
Le temps se couvre. Il pleut de midi à 13h. Journée bien remplie et riche en impressions. Dès l'aube, les rues retentissent du bruit des troupes prenant position. La foule remplit les tribunes, garnit les fenêtres et occupe les trottoirs.
Partout on remarque les costumes des paysannes; les plus originaux sont ceux des Slovènes.
A 10h30, pendant que la foule attend, le cortège des invités gagne la cathédrale où ne sont admis que de rares privilégiés, les missions extraordinaires et les généraux de l'armée yougoslave.
A gauche, une délégation des représentants de toutes les provinces, puis tous les évêques orthodoxes, les évêques catholiques du royaume, les rabbins, les muphtis et les pasteurs. Les hauts dignitaires orthodoxes sont derrière l'iconostase (4). A leur tête, leur patriarche qui a assisté à la brutalité d'un soldat turc frappant un enfant serbe qui avait eu l'audace de prendre de l'eau à une fontaine réservée aux soldats de la garnison. Ce fait provoqua une indignation générale à la suite de laquelle les Turcs durent évacuer toute la Serbie. Que de chemin parcouru depuis lors!
Dans le choeur, le corps diplomatique au complet et les membres du gouvernement. Le vieux Pachitch qui est président du Conseil doit se rappeler le régime turc et la domination des Obrenovitch vendus à l'Autriche puis la constitution du peuple yougoslave, couronnement de sa carrière.
La cérémonie se déroule bien; la reine de Serbie allant s'asseoir sur son trône passe devant ses parents et embrasse sa mère ne pouvant dominer son émotion. Une fois assise, Hadjitch redresse sa couronne.
Départ à 7h sur le chasseur de sous-marin "C30" du commandant Fourgeot qui file 27 noeuds pour rattraper le yacht royal de Roumanie où nous sommes invités à déjeuner.
Franchet d'Espèrey a fait taper à la machine ses mémoires à partir de ses petits carnets de route à couverture noire. Il y a plusieurs versions des mémoires en fonction des corrections apportées.
Quelques pages du petit carnet N (1922) correspondant au mariage du roi Alexandre sont présentées ci-dessous à titre de comparaison avec ses mémoires.
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PS: Merci de donner remarques, idées ou le bonjour en cliquant ci-dessous:
christian.degastines@orange.fr
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